L’application, donnant accès au contenu enrichi de plus de 3 millions d’ouvrages francophones, sera bientôt testée au sein du réseau scolaire marianiste ivoirien.
INTERVIEW avec
Luc JACOB-DUVERNET, Créateur de l’application Linkbook.
Éditeur, journaliste et écrivain, Luc Jacob-Duvernet a dirigé les rédactions de divers journaux et de magazines. Depuis plusieurs années, il s’est intéressé à la diffusion des contenus littéraires numériques et en a tiré une application originale, LINKBOOK, dont il nous présente l’histoire et les visées, et qui propose l’accès au contenu dit « enrichi » de plus de 3 millions de titres francophones. Celle-ci sera proposée, dès la rentrée prochaine, aux élèves et professeurs des collèges marianistes d’Abidjan (Côte d’Ivoire). Une formidable opportunité pour l’accès à la lecture en général et pour les établissements scolaires en particulier.
Quelle est l’origine de l’application LINKBOOK ?
Luc Jacob-Duvernet : En 2006, je dirigeais la maison d’édition Jacob-Duvernet. Comme tous mes confrères, je m’interrogeais sur l’avenir du livre imprimé face au développement du e-book. On commençait à lire des livres numériques sur ordinateur personnel, sur PDA, sur smartphone, sur tablette et sur liseuse. Ce qui inquiétait certains acteurs de la chaîne du livre. Nous étions nombreux à penser qu’il fallait réfléchir en termes de complémentarité entre le livre imprimé et le livre numérique, et non en termes de choix, sinon d’opposition. Je voulais opérer une connexion entre l’écrit imprimé et l’écrit numérique pour créer une passerelle culturelle entre l’un et l’autre. Éditeur, je recevais, chaque mois, des livres fraîchement imprimés sous le label de la maison. Mon idée était simple : il s’agissait de poser le livre à côté de l’ordinateur allumé et de découvrir aussitôt sur l’écran tout ce qui pouvait concerner ce livre, hormis son contenu proprement dit. En somme, on pourrait découvrir ce qu’on appelle aujourd’hui le « contenu enrichi », à savoir tout ce qu’il y a autour du livre et ce qui concerne son actualité. Cela me semblait à la fois simple et nécessaire. Ayant déposé la marque LINKBOOK, j’ai essayé, pendant un an et demi, de trouver la martingale technique, avant de mettre ce projet en pause pendant quelque temps. La technologie n’était pas au rendez-vous. En constatant les bonds de géants que cette technologie avait réalisés en dix ans, j’ai pensé que la passerelle électronique pouvait alors être installée. Et fin 2016, nous avons enfin pu commencer.
Cette complémentarité que vous évoquez entre les supports papier et numérique a-t-elle un impact aujourd’hui avec notre lien à la littérature, au monde des écrivains ?
L.J-D. : Il y a encore quelques années, on pensait que l’e-book allait l’emporter, faisant disparaître à jamais le livre de Guntenberg. On craignait que le livre numérique ne transforme l’écriture, la lecture, la littérature. Les plus craintifs allaient jusqu’à prédire qu’il resterait peu de textes qui seraient engloutis par la vague des vidéos. On considérait avec inquiétude les 10 % des français qui lisaient de manière régulière un e-book, pourtant 90 % des gens demeuraient attachés aux livres imprimés. Or actuellement, c’est quasiment la même chose ! Certes, aux États-Unis, beaucoup de librairies ont mis la clé sous la porte, mais ce phénomène n’a pas duré et aujourd’hui, on est retombé à 25 % des usagers du e-book. Je suis tout à fait conscient que l’écriture numérique avec tous ses artifices séduit plus les jeunes, grands usagers des écrans, qui, souvent, préfèrent la vidéo au texte proprement dit. Mais, il ne faut pas s’y tromper, l’écriture numérique est aussi une façon de les conduire à la lecture. Comme je l’ai dit, il ne faut pas opposer les deux supports, il faut créer une forme de symbiose qui doit permettre de se saisir du sujet central depuis l’invention de l’imprimerie, à savoir la lecture. Cette lecture qui construit un individu ! Le livre papier, le e-book, aidés par la diffusion numérique d’informations complémentaires ont toute leur place dans le bon usage de la connaissance, celui de l’honnête homme. Jusqu’à présent, on enseigne toujours dans les écoles la lecture, le besoin de lire des livres. Depuis les contes courtois du Moyen-Âge, les gens adorent les bonnes histoires, et le roman reste la base même de l’histoire. Même s’il sert généralement à la réalisation de films, ce n’est pas là son objet principal. Le plaisir de lire, lui, reste, et lire des histoires passe véritablement par l’écrit. Ce qui existe depuis Homère et Shakespeare mérite d’être lu et acquis.
Quel est l’objectif de l’application LINKBOOK ?
L.J-D. : L’application LINKBOOK se veut un projet d’intérêt général. C’est tout d’abord la promotion de la connaissance au travers de la réunion du réel et du virtuel. C’est aussi la défense du livre imprimé. Le livre est un canal de connaissance irremplaçable autant que le support de l’intelligence personnelle et collective. Un parti pris a été choisi : sortir de la confrontation entre monde réel et monde virtuel. Un engagement a été également pris : défendre le livre imprimé, c’est soutenir un secteur d’activités de qualité, composé d’auteurs, d’éditeurs, de libraires et de diffuseurs. Notre application se décompose en un service standard sur lequel on a joint d’autres services spécifiques.
Le service standard est une application que vous téléchargez gratuitement sur votre portable ou sur votre tablette. Il vous donne la possibilité d’accéder en quelques clics au contenu enrichi des 3 millions de titres français qui sont extraits du Fichier exhaustif du Livre (FEL), lequel existe en France depuis 1976 et regroupe tous les ouvrages pour lesquels la Bibliothèque Nationale de France (BNF) a attribué un code-barres aux éditeurs, c’est-à-dire environ trois millions de livres depuis cette date. Une fois l’application installée, il suffit alors de scanner le code-barres, qui est situé au dos de n’importe quel livre imprimé, ce qui permet d’accéder à notre plate-forme et de bénéficier de tous ses services. LINKBOOK recherche, sélectionne et affiche les contenus en lien direct avec ce livre. Outre le titre, l’auteur, la couverture, et le résumé du livre, vous obtenez ainsi les liens vers les articles écrits, les actualités, les définitions, les blogs, les vidéos, les podcasts concernant le livre ou l’auteur.
Ce service de base est déjà substantiel. Nous y avons adjoint des services spécifiques, qui sont des espaces thématiques en direction de communautés en général. Nous proposons à nos partenaires de classer ces contenus enrichis selon des thèmes qui ont été choisis et qui sont liés à leurs activités spécifiques : cela peut être la protection de la santé, la protection sociale, la laïcité, la citoyenneté, l’économie sociale et solidaire… Il est possible de consulter les contenus enrichis des ouvrages en fonction de leur parution dans l’année ou à la fin de l’année précédente, il est même possible d’accéder à tout cela pour les livres à paraître, puisque nous disposons du code barre trois à six mois avant son impression et la mise en librairie.
Le domaine pour lequel nous consacrons le plus de temps et d’énergie est l’éducation, et c’est l’objet du troisième service que nous proposons. Avec LINKBOOK, il est possible, pour tous les professeurs des écoles, de proposer aux élèves de pouvoir consulter cette fois l’intégralité d’une sélection de livres de jeunesse, validée par l’Éducation nationale, sur le smartphone ou la tablette de leurs parents. Cet espace s’appelle « LE QUART D’HEURE DE LECTURE EN FAMILLE ». Cette fois-ci, c’est bien le contenu propre du livre qui est en accès. Le lundi matin, le professeur ou la professeure des écoles arrive en classe et explique aux élèves qu’une sélection de trois livres choisis en fonction des cycles d’étude les attend sur le smartphone de leurs parents. Ces livres auxquels ils ont accès pendant 7 jours, ils peuvent les lire chez eux pendant une semaine. Ce service n’est pas nominatif, en raison des contraintes concernant la protection des données personnelles, mais le professeur peut déjà savoir combien d’élèves en classe ont lu le livre pendant la semaine, il y a même un quizz qui permet de savoir si les enfants ont aimé et compris ce qu’ils ont lu. L’enseignant peut ainsi, la semaine suivante, passer plus de temps sur le sujet, faire des exercices, sonder l’intérêt de ses élèves, et proposer, pour la semaine suivante, trois nouveaux ouvrages.
FAIRE JOUER LA COMPLÉMENTARITÉ ENTRE LE LIVRE IMPRIMÉ ET LES ÉCRANS.
Qu’est-ce qui est apprécié particulièrement de la part des enseignants et des élèves ?
L.J-D. : Les avantages concrets de notre application ont été particulièrement remarqués au moment où était promue l’idée du « quart d’heure de lecture en famille ». Pour ce quart d’heure de lecture, il faut des livres ! Si vous proposez à vos élèves 3 livres par semaine pendant 30 semaines, cela fait une centaine de livres achetés par classe, multipliés par le nombre d’élèves ce qui est trop compliqué en termes de logistique ! Notre idée est simple : grâce à LINKBOOK, tout le monde dans une classe peut accéder, au même moment, à la lecture du même livre, et ce qui intéresse énormément les professeurs. LINKBOOK est là comme support pédagogique. Il s’agit d’aider matériellement les professeurs dans leur tâche d’apprentissage de la lecture, tout simplement Il s’agit également de contribuer à la réduction des inégalités, à la réussite de tous les élèves, quelle que soit leur origine sociale, culturelle et économique. Participer à la progression en termes d’équité entre les élèves et entre les territoires est aussi un objectif. Développer des dynamiques collectives pour nourrir les pratiques, notamment en partageant un outil commun, ouvre des perspectives qui séduisent les enseignants. Et l’école est par ailleurs sensible aux efforts qui renforcent l’alliance éducative avec les familles
Avez-vous mené déjà des premières expérimentations ce sens ?
L. J-D. : Depuis octobre 2020, nous avons commencé cette démarche dans le département d’IIle-et-Vilaine, avec un petit nombre d’écoles primaire publiques. Cette première expérimentation était un succès d’estime, avec de 10 à 20% d’usage de l’application dans les classes. Par la suite, l’utilisation de l’application est allée croissante, avec 60 % à la deuxième puis 90 % voire 100 % dans certaines classes à la troisième expérimentation. C’est donc une réussite totale. Avec le rectorat de Rennes, nous proposons à travers LINKBOOK le « Quart d’heure de lecture en famille » aux élèves du primaire des trois autres départements bretons à la rentrée prochaine, en nous appuyant sur une centaine d’enseignants formateurs de l’Académie de Bretagne qui vont aller porter la bonne parole dans les écoles. Nous faisons de même en Occitanie en commençant par l’Aveyron, et l’Aude. Et Bientôt les départements de l’Ile-de-France. À cet égard, nous commençons une expérimentation dans quatre centres scolaires d’hôpitaux de la région.
Avec Antoine Hüe, secrétaire général de la Fondation Marianiste, vous vous êtes récemment rendu en Côte d’Ivoire, et avez rencontré les équipes des deux établissements scolaires marianistes d’Abidjan, les collèges Saint Jean-Bosco et Notre-Dame d’Afrique. Quels sont les projets à l’étude sur place ?
L.J-D. : En Côte d’Ivoire, qui compte peu de librairies, tout au plus une trentaine sur tout le territoire, la question de l’accès aux livres est délicate. Les écrans sont, en revanche, de plus en plus répandus, en particulier les smartphones (85 % de la population en est équipée). Quant à l’usage d’Internet, il va lui-même augmentant, et la qualité des connexions s’améliore aussi, et cela répond d’ailleurs à un vrai besoin. Pouvoir consulter des ouvrages sous forme numérique devient donc une réalité là-bas, et elle est plus que bienvenue. À Abidjan, nous avons rencontré la direction, les équipes pédagogiques et les représentants des parents d’élèves des deux collèges marianistes et leur avons donc proposé d’utiliser notre espace de travail numérique LINKBOOK spécifique à l’enseignement secondaire dans le cadre d’une expérimentation dans quelques classes avec les élèves et les professeurs, dès la rentrée 2022. Cette formule a pour objet de faire la promotion des livres en fonction des disciplines enseignées, français, mathématiques, histoire-géographie… Pour cela, nous allons mettre en place une bibliothèque par niveau. Nous aiderons ainsi les enseignants à s’appuyer sur les ouvrages disponibles et à mieux expliquer certains points de leur cours. Je pense notamment aux professeurs de philosophie qui se sont montrés fort intéressés par cette possibilité de constituer une bibliothèque spécifique avec, par exemple, une vingtaine des grands auteurs de philosophie étudiés au programme de l’année, de donner accès aux élèves à quelques-uns de leurs ouvrages incontournables. Dans une telle matière, il est d’autant plus intéressant pour les élèves d’accéder au contenu enrichi des livres, avec notamment de nombreuses vidéos de vulgarisation. Les enseignants le reconnaissent : avec ces différents supports, c’est déjà la moitié du chemin de la connaissance qui est fait !
Plusieurs aspects de notre application ont retenu l’attention de nos interlocuteurs et du Frère Patrice Ossey, directeur du Collège Saint Jean-Bosco, comme la possibilité de constituer une bibliothèque technique, avec des nouveautés, en particulier parmi les manuels scientifiques. Ainsi, ceux portant par exemple sur la robotique, l’informatique sont le genre d’ouvrage qui devient vite obsolète. Les éditeurs les mettent à jour régulièrement, la nouvelle édition numérique est prête d’une année sur l’autre. Avec LINKBOOK et le format numérique, il est possible d’avoir en permanence une version à jour. L’opportunité est également apparue d’organiser le « Quart d’heure de lecture » pour 2 classes du collège, en 6e et en 5e. Et nous ne nous contenterons pas de proposer l’accès à des œuvres de la littérature française classique, nous veillerons également à ce que soit constituée pour ces deux établissements une bibliothèque numérique des romans d’Afrique, avec des auteurs francophones ivoiriens.
LES AVANTAGES CONCRETS DE LINKBOOK ONT ÉTÉ REMARQUÉS AU MOMENT OÙ A ÉTÉ PROMU LE « QUART D’HEURE DE LECTURE » PAR LE MINISTÈRE DE L’EDUCATION NATIONALE.
Que retenez-vous de cette expérience et que peut-on vous souhaiter ?
L. J-D. : La mise en place et la promotion de LINKBOOK constituent une belle aventure, car nous créons un support original, différent de ce qui se faisait jusqu’à présent pour promouvoir la lecture. C’est un vrai travail « d’écriture », au sens large du terme, et pour moi-même qui ai été éditeur et journaliste de presse écrite, il est passionnant d’apporter une pierre de plus dans le domaine de la communication et de l’information ! Qui plus est, dans celui, gigantesque, de l’apprentissage de la lecture qui est aujourd’hui mis à mal et qu’il faut défendre avec les armes qui sont à notre disposition. L’application numérique en est une.
Propos recueillis par Pierre Marot.
Avec Linkbook, les élèves des établissements scolaires marianistes en Afrique pourront accéder plus facilement aux livres numériques et à l’apprentissage de la lecture !
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